La route de Stewart-Cassiar, Episode 1
Nous quittons l’Alaska highway, direction le sud, par la route « Stewart-Cassiar » qui comme l’originalité de son nom l’indique, relie Cassiar, une ancienne ville minière, à Stewart, 700 kilomètres au sud. Après avoir pris le chemin du nord pendant des milliers de kilomètres, cela nous fait drôle de prendre ce cap. C’est un peu comme être au sommet d’une montagne russe sans les haut-le-coeurs. Quoique… A notre grande surprise, alors que nous pensions prendre un axe majeur, cette route est bien plus sinueuse et étroite que l’Alaska highway, et surtout, bien moins fréquentée, pas une voiture ne circule à par nous.
Nous arrivons le long de la rivière Dease et sortons le canoë. La rivière est très large (140 mètres d’après l’hydrobiologiste) et le débit, soutenu. Je tente de la remonter tant bien que mal pendant quelques centaines de mètres, ce qui me prend environ 1h. Puis, après tous ces efforts, retour en urgence sur ordre du pêcheur voyant l’orage approcher. Cela m’allait bien car je faisais du sur-place depuis plusieurs minutes déjà, et surtout, parce que : « pêcheur qui a peur, déclenche sa fureur » (mon nouveau dicton, vous comprendrez pourquoi dans quelques lignes).
De retour sur la terre ferme, nous rencontrons une famille qui débarque pour passer le weekend ici. Ce qui signifie en canadien ; 2 énormes semi-remorques (enfin camping-cars), remorquant quads et moto-cross, avec bien entendu, la fameuse génératrice (groupe électrogène). Nous sommes chaleureusement invités par les grands-parents à les rejoindre passer la soirée à discuter autour du feu. Ils sont originaires de Stewart et viennent passer le weekend au bord de cette rivière en famille. Ils ont également en tête de chasser un orignal, ce qui les rend autonome en viande pour 1 an. Bière dans une main, popcorn dans l’autre, entourés de Canadiens, ce soir nous sommes bien. Je dois avouer que nous avions hâte de discuter avec des gens, nos interactions sociales n’étant pas fréquentes (10ème rencontres en 95 jours).
Le lendemain, nous nous arrêtons au parc provincial de Boya Lake. L’eau, bleu turquoise et limpide, nous ferait presque penser à un lagon. L’équipe de castors habitant les lieux a réalisé tout un système de gestion de niveau de l’eau avec une myriade de lacs interconnectés grâce à des constructions impressionnantes (à quand le contrat avec Vinci ?).
Nous profitons du rayon de soleil qui a du mal à nous réchauffer. Rien de particulier à signaler, hormis une nouvelle maladresse de Geo, qui a fait tomber sa canne dans l’eau. Heureusement, nous étions très proche du bord (je n’ose pas imaginer le drame sinon…).
Nous passons notre soirée au bord de MacDame Creek à Jade city (« capitale de la Jade », extraite et vendue sur place). Geo est super content, il attrape des poissons rapidement, des ombres. Après quelques minutes, il revient vers moi en courant, excité et à bout de souffle : « Laure, j’ai un poisson tagué ! ». Ce qui ne signifie pas ça :
Mais ça :
Vous voyez l’espèce de petit tube en plastique blanc sur la nageoire dorsale (appelé « spaghetti tag » ici, c’est mignon) ?
Voilà, que l’hydrobiologiste ne peut s’empêcher de faire son hydrobiologiste, même en vacances ! Est-ce que je fais des extractions de plantes dans l’alcool moi ? Bon ok, je fais parfois des tisanes, mais ça ne compte pas !
Bref, voilà que nous devons contacter le Bureau « Fish and Wildlife » de la province, après mesure et photographies du spécimen. Bon, ce qui est tout de même assez cool dans cette histoire, c’est que cela rapporte 100 $ de capturer un poisson « tagué » au Canada. J’en entendrai parler pendant plusieurs semaines…
Nous poursuivons notre route tranquillement. En chemin, quelques villages seulement, appartenant pour la plupart à la communauté des Tahltan, (premières nations). Extrêmement protecteurs face au Covid, tout est fermé et gardé 24/24h (même les accès aux villages). Nous sommes entre deux parcs qui semblent supers, le plateau de Spatsizi et le Mount Edziza. Malheureusement, ces parcs sont co-gérés par les Tahltan, qui ont complètement bloqué les routes d’accès. Bien qu’on comprenne qu’ils se protègent, nous avons plus de mal à accepter les restrictions concernant les randonnées (une façon de rappeler que ce territoire leur appartient avant tout ?). Après plusieurs tentatives infructueuses et prises de renseignements compliquées, on se résigne et nous traçons notre route.
Puisque nous ne pouvons pas marcher, nous nous concentrons sur le canoë, la pêche et la cueillette de champignons. Nous arrivons même à faire ces trois activités en même temps au lac de Kinaskan.
Après avoir porté notre canoë sur 1 km de sentier tapis de champignons, nous mettons à l’eau l’embarcation. Je commence à faire le tour du lac lorsqu’un phénomène étrange se produit à l’horizon. J’aligne mes yeux en face des trous, et non, je ne rêve pas, je surprends un poisson sauter à 1 mètre au-dessus de la surface de l’eau, puis un autre, et encore un autre. Bref, ça saute de partout. Devant moi, Geo est au summum de l’excitation, et lance son streamer (mouche imitant un poisson et dissimulant un petit hameçon) dans tous les sens et attrape les truites arc-en-ciel sautantes.
On débarque sur la rive d’en face où débute un petit sentier. On se croirait dans une forêt enchantée de dessin animé avec cette multitude de couleurs et ce tapis végétal. Le sentier mène à plusieurs points d’observation d’une énorme chute d’eau située en aval du lac (rassurant hein ! Pas pour rien que je remonte les rivières et non l’inverse).
Nous retournons à notre canot. Le vent s’est levé, le lac « moutonne » un peu mais rien d’alarmant. Nous continuons notre tour, des vagues commencent à se former. Alors que je pagaie tranquillement vers une île. Geo me crie (ou dirais-je, me hurle) qu’il a accroché un truc et qu’il va casser sa canne. Alors que j’essaye de comprendre la situation, pour savoir où je dois virer, le vent et les vagues changent la direction de mon canot. C’est la panique générale sur le pont ! Geo continue de me crier des trucs, et comme ce n’est pas clair, je ne comprends pas, et d’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi il hurle, ce qui m’énerve. Je vois surtout que son fil s’est pris dans ma quille, et au vue de la situation, je lui crie en retour : “Casse ton fil et reprend ta rame, on rentre ! “.
Non mais oh ! Qu’est-ce que je disais plus haut ? « Pêcheur qui a peur, déclenche sa fureur » ! Tellement obnubilé par la pêche, qu’il ne s’était pas aperçu de la houle et du vent sur le lac. Il a fallu qu’il coince son fil pour qu’il prenne conscience des conditions de navigation et qu’il se mette à paniquer. Alors que moi, j’étais tranquille, en train d’accomplir mon petit challenge sportif. Bref, je le laisserai ramer seul les derniers mètres pour lui apprendre un peu !
Geo rêve encore de ce lac aux poissons-sauteurs et de sa partie de pêche avortée pour raisons météorologiques.
Nous continuons notre route et croisons énormément d’ours noirs (et un porc-épic) … On décide d’arrêter notre décompte car on dépasse maintenant les 70 apparitions depuis le début de notre voyage. On commence à se perdre dans les chiffres.
Les kilomètres défilent. Nos journées se concentrent autour du canoé, de la pêche, de la recherche de bois pour le feu du soir et de la mycophagie. Les nuits deviennent plus froides et le thermomètre intérieur descend fréquemment en dessous des 7 degrés tandis que le gel fait désormais son apparition sur le pare-brise chaque matin.
La sensation d’isolement prend ici tout son sens. Un isolement subtil et pernicieux. Seuls à sillonner cet ouest canadien, sans accès au monde extérieur depuis plusieurs dizaines de jours (les proches, les réseaux sociaux, la météo, les actualités, etc.) et avec un nombre d’interaction sociale très limité voire proche du néant. Geoffrey fait face à un petit coup de blues.
Nous ferons donc une pause « internet » au lodge de Bell 2. Cela fait deux semaines que nous sommes sans connexion, il est temps de faire un petit « Hello, tout va bien ». Nous achetons 6 $ nos 30 minutes d’internet par satellite. Avec un débit des années 2000 (je pourrais presque entendre le bip bip du modem), nous avons juste le temps d’envoyer un message et d’ouvrir la page météo (on n’aura malheureusement pas le temps de charger les prévisions du jour).
Nous arrivons finalement à la jonction de Meziadin. La route se scinde en deux. L’une, relie Stewart, et l’autre continue son bonhomme de chemin vers le sud.
Suite et photos au prochain épisode…
3 réflexions sur « La route de Stewart-Cassiar, Episode 1 »
Cc c est mamie Suzanne très heureuse de pouvoir enfin suivre votre itineraire ( bien commenté ) j espère que je pourrais vous suivre encore plus …
Tu me fais rêver je lis tes aventures c est formidable bisous à vous
Je l’ai déjà dit, mais votre timing, rapport au covid, ne pouvait être meilleur. Vos aventures sont effectivement formidables !! Bious !