Mushrooms pickers, épisode 1 !
À la suite de notre visite du campement de champignons, nous repartons avec une seule idée en tête, trouver, ramasser et goûter tous ces spécimens. Nous arrivons rapidement à Terrace. C’est la plus grande ville que nous ayons vu depuis des semaines… et, il faut l’avouer, c’est le choc. Geo semble même un peu déprimé face à toutes ces infrastructures. Nous sommes désormais au centre de la province, bien plus proche des zones habitées. Nous accusons le coup. Malgré tout, l’avantage est de pouvoir refaire notre stock de nourriture au supermarché, ce qui change des dernières épiceries locales hors de prix. Mais surtout, nous profitons de capter la 3G pour se renseigner sur nos nouvelles cibles : les champignons. Une bonne occasion de réviser les clés d’identification apprises à la fac.
A peine sortis de la ville, on s’engage plein nord, sur une route forestière. La forêt est sèche, nous trouvons quelques cèpes habituels mais rien de nouveau. Une dizaine de kilomètres sur cette route horrible, jonchée de nids-de-poule et une dernière partie carrément lessivée par une crue, et nous arrivons sur notre lieu de campement. Le site est magnifique, une immense plage de sable fin donnant sur une baie formée par la rivière Kitsumkalum.
Il y a une 50aine d’emplacements mais, en ce début d’automne, nous ne sommes que… deux. Le cadre est idyllique. Nous assistons à un de nos plus beaux couchers de soleil. Cerise sur le gâteau, le site est tapi d’énormes cèpes des pins. Le lendemain, après avoir récupéré quelques bûches laissées par notre voisin (eh oui, il faut savoir saisir les bonnes opportunités), nous prenons la décision de rebrousser chemin (la route étant bien trop chaotique pour notre pauvre Raccoon). Après quelques kilomètres, je crie à mon chauffeur de s’arrêter. Il me semble avoir aperçu une tâche orange sur le bas-côté. Étrange, j’arrive à distinguer un champignon depuis le siège passager, lancés à 50 km/h, mais une palette au milieu de la route, et bien je roule dessus, allez comprendre… (cette phrase a été rajoutée par Geof, mais comme je suis fair-play, je la laisse). Il s’agit bien d’un énorme champignon orangé de forme inhabituelle dépourvu de lame. Geo en avait ramassé un de ce genre quelques jours plus tôt mais il était pourri et sentait fort les fruits de mer. Celui-ci est ferme mais sent également la crevette. Pas de doute cette fois, nous avons trouvé un « lobster » (homard) !
Ce champignon est vraiment particulier, c’est en fait un parasite qui transforme un « vrai » champignon (une russule ou un lactaire) en un autre. Bref, c’est le « Hulk » orange des champignons. Il se cuisine comme un fruit de mer, en a la texture et le goût. C’est assez incroyable et parfait pour les végans (que nous ne sommes pas) !
Nous sommes sur la route de Prince Rupert. Elle longe l’immense rivière Skeena, connue à travers le monde pour ses saumons et ses « steelheads » (des truites arc-en-ciel qui se prennent pour des saumons). Nous nous arrêtons en fin d’après-midi, le long d’un de ses affluents, l’Exstew river. Encore une fois, le site est incroyable, nous oublions complètement que nous sommes juste à une trentaine de kilomètres de Terrace.
Notre voisin nous fait un petit coucou de la main, nous prenons ce signe pour une invitation à la discussion (comme nous sommes en manque d’échange, le moindre signe et voilà que l’on s’incruste ^^).
Nous rencontrons donc Matthew. Je ne sais pas ce qui m’impressionne le plus : son van Mitsubishi 4×4, sa remorque supportant une moto 2×2 (oui ça existe) ou ses bretelles à l’ancienne. Il campe sur ce spot depuis une semaine, il est orpailleur. Avec lui, nous remontons le temps à l’époque de la ruée vers l’or. Ni une, ni deux, nous voilà chacun équipés d’une « batée », direction le lit de la rivière pour grattouiller. Bon, aucun de nous deux ne semble avoir trouvé une pépite de 10 g (un « nugget » comme ils disent ici). Matthew, nous fait tout de même regarder le sable à la loupe binoculaire, rien non plus. Il est optimiste sur cette rivière et aimerait explorer tous ses affluents en amont.
Le soir venu, nous l’invitons à partager notre feu ce qui nous donne l’occasion de faire plus ample connaissance et de découvrir ce mystérieux personnage. Tout a commencé il y a cinq mois lorsque, dans un moment de recueil, une voix venue de là-haut lui a soufflé de devenir orpailleur. Du jour au lendemain, il a tout lâché et s’est transformé en chercheur d’or. Comment a-t-il appris ? En regardant des tutos sur youtube ! Depuis le printemps, il sillonne donc les rivières en quête du « nugget ». Pour l’instant, le succès n’est pas au rendez-vous, mais il ne perd pas espoir !
Surprenant personnage donc, qui nous raconte plusieurs histoires vécues aussi fascinantes les unes que les autres (« le renard apprivoisé », « la rencontre avec le Sasquatch » (Yéti du Canada), « le nez à nez avec les braconniers »). Il devrait écrire un livre, il serait riche…
Dommage, nous n’avons pas échangé nos contacts. Il restera toutefois dans le top 3 (sur 14) de nos compagnons de voyage.
Le lendemain, nous partons à pieds en exploration des lieux depuis notre campement. Quelques centaines de mètres plus loin, nous tombons nez à nez avec… un sac de sport noir. Pas tous les jours que nous faisons ce genre de rencontre ! Il ne semble pas être là depuis longtemps et doit fortement manquer à quelqu’un. A l’intérieur, pas de liasse de billets, pas de lingot d’or, pas de pistolet caché, juste des vêtements et une facture avec un nom (dommage ça aurait fait une belle anecdote à raconter). Nous le cachons dans le bas-côté, nous le rapporterons à notre retour. Cela fait à peine deux minutes que nous avons repris la randonnée que nous nous arrêtons de nouveau, au détour d’un virage. Devant nous se tient… Maman ours et ses 3 oursons (préparez les popcorns, là c’est intéressant !). Ils sont juste à une dizaine de mètres de nous. Nous les observons en espérant qu’ils rebroussent chemin ou qu’ils traversent la route. Je vois Geo saisir calmement la bombe à ours. La mère grogne après son troisième ourson qui est à la traine (ce qui est assez effrayant), puis semble continuer son chemin tranquillement… dans notre direction ! Cette fois, impossible de courir vers le véhicule. Le temps semble s’être arrêté. Nous sommes face à cette situation tant redoutée depuis le début de notre voyage. Nous leur faisons face et commençons un « Moonwalk » à en rendre jaloux Michael Jackson.
Si la mère semble calme, les oursons, eux, semblent intrigués par notre présence et bien déterminés à venir jouer avec leur deux nouvelles peluches, nous !
On accélère finalement le Moonwalk jusqu’à les perdre de vue dans un virage (je me ferai même disputer par Geo car je ne reculais pas assez vite). Hors de leur champ de vision, nous nous retournons et entamons une nouvelle activité, une marche nordique, jusqu’au sac de sport.
De retour au campement, nous rencontrons le propriétaire du sac noir qui était parti à sa recherche.
Après toutes ces péripéties, on se demande bien si nous allons réussir à randonner.
En supers aventuriers que nous sommes, on délaisse les bâtons de randonnée et nous optons pour l’option Raccoon, afin de nous rapprocher et d’éviter une énième rencontre.
On se rend au pied d’une petite cascade. La cadre est magnifique, Geoffrey a pris sa canne à pêche, je l’observe d’un air septique. Il lance son streamer au pied de la cascade et là, une truite ! Ok, je remballe mon air septique.
Nous poursuivons notre chemin à la recherche d’une autre cascade indiquée sur notre carte. Encore une fois, c’est une belle surprise, devant nous se tient un mur d’eau immense, chapeauté par un arc-en ciel. Nous sommes seuls, ce qui rend le décor encore plus magique. Seul Matthew nous rejoindra alors que Geo est en train de descendre le cours d’eau en pêchant toutes les fosses (et il y en a beaucoup).
Au matin suivant, nous sommes sur le départ quand j’aperçois Geoffrey revenir des toilettes (enfin de la forêt), les bras chargés de… lobsters et une tête d’excité ! Je m’interroge. Qu’est ce qu’on peut bien faire avec autant de champignons ? Une cure de lobster ? Il me répond : « Bah, je veux les vendre ! Y’en a plein d’autres ». Il est vrai que j’en avais vu quelques-uns dépasser des herbes.
Nous partons avec notre barquette en carton (n’ayant pas pensé à prendre un panier en osier dans nos bagages). Quelques minutes à peine et elle est déjà pleine ! Mais surtout, on découvre qu’il y a de magnifiques « golden » chanterelles (girolles) et quelques « blue » chanterelles (rien à voir avec des chanterelles, c’est des Polyozellus multiplex). Dire que nous étions juste à côté depuis 2 jours… Nous avons trouvé notre « nugget » à nous !
Après un brossage et nettoyage minutieux de la récolte, place à la vente. On n’a absolument aucune idée de comment s’y prendre mais il doit bien avoir des acheteurs sur Terrace. Nous partons en ville, tels des pionniers du 19ème siècle, vendre notre récolte. Sur la route, je regarde les groupes Facebook « Mushrooms buyers/pickers » (acheteurs/cueilleurs de champi, ok, on est loin des pionniers du 19ème siècle). Les acheteurs sont dans des petits camions à l’entrée de la ville. Après une rapide comparaison des prix du marché, on se rend chez celui où il y a le plus de monde : « Chez Jeff ». Nous nous mettons au bout de la file et épions les autres « pickers ». Il y a un papy avec un petit sac de 3 champignons, un ouvrier encore en tenu qui semble avoir profité de sa pause du midi pour faire une petite récolte et d’autres encore, avec 4 seaux pleins à ras bord. Ils ont tous une espèce de champignon blanc à lames. Nous nous demandons bien ce que c’est. L’acheteur, Jeff, les regarde, les trie, et le « picker » ressort avec une liasse de billets, même le papy avec ses 3 champignons !
Nous, nous arrivons les mains dans les poches et lui expliquons que nous avons quelques kilos de lobsters et de golden chanterelles dans notre camion. Il semble surpris, la saison des lobsters est normalement passée. Décidément, nous avons eu le bon filon, notre campement en étant tapi. Les champignons passent sur la balance, et nous voilà avec une 100aine de dollars (nous attendrons d’être dans le van pour crier notre joie) !
Nous l’interrogeons sur les fameux champignons blancs. Il s’agit des « pine mushrooms », aussi appelés « Matsutaké ». Il s’agit du Graal du cueilleur car il s’achète cher, 7 fois le prix des lobsters. Ce champignon est consommé par les japonais. Tous les jours, un camion récupère les champignons de Terrace, les emmène à Vancouver (à 16h de route). De là, ils prennent l’avion direction le Japon. Le top qualité du « Pine », c’est-à-dire quand le chapeau est encore fermé, est acheté 14 $/livre à Terrace, 50 $ à Vancouver, et 300 $ sur les étals de Tokyo. En clair, c’est la « truffe » des japonais. Eh bien, après toutes ces informations, nous avons hâte de les trouver ! Nous profitons d’en avoir sous la main pour bien les observer, les comparer entre eux, et les sentir. Oui, très important, l’odeur est caractéristique, un mélange d’épices et de vieilles chaussettes, impossible de se tromper !
Les champignons deviennent un peu (complètement) notre obsession du moment. La moindre randonnée se transforme en recherche intensive où le moindre chapeau est passé au crible.
Malgré tout, nous arrivons au bout de notre route, à Prince Rupert. Encore une fois, cette route ne mène nulle part, nous sommes face au Pacifique. Le petit port de Prince Rupert est splendide avec ses maisons colorées. Ce soir, c’est jour de fête, notre paie se volatilisera dans l’excellente micro-brasserie du coin ainsi que dans un fish and chips d’halibut (flétan). Nous passerons également à l’ancienne conserverie de la ville, monument national, malheureusement fermé en raison du Covid. Dommage, cela semblait super !
Nous retournons donc sur nos pas, sans un seul « pine mushroom ». En chemin, on s’arrête à notre spot favori, Matthew est parti mais des nouveaux lobsters sont là. On quadrille le site, il y en a vraiment des tonnes.
On apporte notre super récolte à Jeff. Toujours bredouilles avec les « pine mushrooms », nous essayons de glaner quelques infos supplémentaires. Il faut chercher au pied de certains résineux dans la mousse. Ils sont à peine visibles.
Nous prenons la direction de Kitimat, une route sans issue en quête du Saint Graal du champignon.
Suite au prochain article !