Région Cariboo !
Nous arrivons à Prince George et terminons par la même occasion notre boucle de 3 000 kilomètres en cinq semaines. Cette arrivée met définitivement un terme à notre périple au nord de la province.
Après l’achat d’un nouveau « Mapbook », nous voilà lancés sur les routes de la région Cariboo. Parmi les « Things to do », figure la visite de Barkerville, située 100 kilomètres plus à l’est. Il s’agit d’une ville construite lors de la ruée vers l’or et aujourd’hui désertée, ou presque. Dans les années 1850, des américains débarquent en masse depuis la Californie et remontent la rivière Fraser à la recherche de ce métal précieux. Le bouche à oreille est rapide, des tentes et cabanes en bois se dressent. En quelques années, la ville compte 5 000 habitants dont la moitié sont des immigrants chinois. Saloons, restaurants, dance-hall, théâtre, église et quartier chinois sont érigés.
Un siècle plus tard, entre les guerres et la grande dépression, la population de la ville décline. Le dernier habitant quitte les lieux dans les années 70, laissant derrière lui une ville fantôme. Les bâtiments sont restés intactes et Barkerville est devenue, très récemment, une véritable attraction touristique.
Nous arrivons en fin de journée. J’ai pris le volant depuis quelques kilomètres, Geo semble couver quelque chose. Il est aussi rapide qu’une limace (ce qui est extrêmement rare chez lui) et nauséeux. Je ne suis pas inquiète, il a pris pour mauvaise habitude de se plaindre de « tourista fulgurante » dès que son ventre émet le moindre gargouillis.
Aujourd’hui, il a de la fièvre et refuse d’avaler le moindre « Pickles » dans le pub du coin, véritable signal d’alerte. Je prends donc son mal au sérieux. Il n’est pas bien en forme d’autant plus que sa douleur au doigt persiste depuis maintenant 10 jours.
Le jour suivant, Geo est encore patraque. Il n’est pas d’attaque pour se lancer dans une grande randonnée. A défaut, nous choisissons de visiter la ville de Barkerville. C’est un véritable retour en arrière. Il ne manque qu’un duel entre deux cow-boys après quelques verres de whisky de contrebande pour se plonger pleinement dans ce décor de Far-West… Nous sommes pourtant bien seuls à arpenter ces rues poussiéreuses (enfin boueuse), la pluie, le Covid et l’hiver ont eu raison du moindre touriste.
Nous errons entre ces bâtiments en imaginant la vie qui a pu régner ici : des hommes, atteints de la fièvre de l’or, creusant une mine dans le flanc de la montagne, retournant le lit de la rivière, coupant les sapins pour construire leurs cabanes et se chauffer, puis, en fin de journée, se retrouvant au saloon pour boire un verre.
L’état de Geoffrey s’améliore au cours de la journée et nous continuons notre route. Un petit détour de 140 kilomètres suivant l’ancien tracé de la ruée vers l’or permet de rejoindre Williams Lake. Ça sent l’aventure à plein nez, il n’en faut pas moins pour nous convaincre ! Je prends le volant, un panneau dressé au bord de la piste avertit les aventuriers que nous sommes. Un véhicule 4×4 est nécessaire au mois d’octobre. Nous sommes le 5 du même mois, pas de quoi s’inquiéter donc.
Quelques kilomètres plus tard, je sers les fesses. Mon co-pilote qui somnolait jusqu’à présent, se réveille et se cramponne désormais à son siège. La route est un peu « rough » comme on dirait ici. Raccoon perd toute adhérence sur cette piste boueuse.
Nous arrivons à notre campement sans trop d’embuche. Face à nous, un petit lac vert émeraude dans lequel on distingue des vestiges de la ruée vers l’or (les chercheurs creusaient et projetaient de l’eau contre la montagne pour récupérer et trier les gravas).
Il pleut encore, nous passons la fin de la journée dans Raccoon, à lire et se reposer (enfin surtout Geo).
Le lendemain, il est au top de sa forme (hormis son doigt qui n’évolue pas) ! Nous arrivons à notre premier point de chute, le lac Ghost. La route passe au-dessus d’une cascade, le cadre est absolument somptueux.
Au bord du lac, un énorme campement de chasseurs est installé.
C’est la pleine période de la chasse à l’orignal. Geo est néanmoins plus intéressé par les spécimens à branchies et se lance à l’assaut de la rivière.
Nous reprenons la route, celle-ci se dégrade pour ne former désormais que deux ornières de boue. Raccoon se lance dans une chorégraphie sans précédent, il chasse à droite, à gauche, dérape, patine. Nous hésitons à continuer quand un énorme pickup surmonté d’un « camper » arrive en sens inverse. Parfait, nous le questionnons sur l’état de la route. Il nous dévisage et nous questionne à son tour : Avez-vous un 4 roues motrices ? Êtes-vous équipés d’une pelle, de chaines, de projecteurs à l’avant du véhicule ? Il comprend rapidement sur quels spécimens il vient de tomber et se tape le front de la main, en signe de désarroi. Il ne serait pas sérieux de s’engager sur cette route avec une « lady » à ses côtés. Sa réponse me laisse perplexe, partagée entre mon esprit à minima féministe, et le fait d’être complimentée de « lady » malgré mon manque de féminité à ce moment-là (polaire, pantalon de rando, absence de maquillage, etc).
Ses paroles finissent tout de même par nous convaincre, nous faisons demi-tour tant bien que mal, en espérant ne pas s’embourber ou se faire percuter par un camion forestier lancé à pleine allure.
La déception est bien là, c’est la première fois que la météo et l’état des routes ont raison de nous. Je me demande combien de temps ces pistes forestières seront encore praticables. Nous voilà donc repartis pour 150 kilomètres en sens inverse.
Fatigués, nous faisons halte quelques kilomètres avant Williams Lake au bord d’un lac aux couleurs verdâtres. Au réveil, la brosse à dent encore dans la bouche, Geo attrape sa canne. Il a repéré des poissons rougeâtres avec une bosse qui semblent frayer sur le bord du lac. Il capture facilement un spécimen. Il a tout d’un saumon à l’exception de sa taille, l’individu mesure à peine vingt centimètres. Après un appel à un collègue (son grand ami Pascal), le verdict tombe, ce sont des Kokanee, des saumons qui restent en lac toute l’année. Étant apparemment en pleine reproduction, nous les laisserons tranquilles.
Face à notre mésaventure boueuse, il est temps de changer les souliers de Raccoon, peu importe si nous devons partir dans un mois en Amérique du sud, la sécurité avant tout !
Il n’y avait pas plus mauvaise période, les garagistes de Williams Lake sont surchargés : tout le monde passe aux pneus d’hiver, voire cloutés, obligatoires dès le 01 octobre sur la plupart des routes.
Chaussés de ses nouveaux pneus haut de gamme M+S (Mud (boue pour les non-anglophones) + Snow), Raccoon semble plus puissant que jamais.
Nous prenons quelques renseignements sur l’étape suivante : La highway 20, longue de 450 kilomètres et décrite comme la plus spectaculaire du Canada en raison d’un col situé à 1500 mètres qui plonge droit sur l’océan Pacifique après une série de virages en épingle. La route est interdite au caravane et ne dessert qu’une seule ville, Bella Coola, située à son extrémité.
Le paysage est inédit. Sans nous en rendre compte, nous avons atteint l’immense plateau de Cariboo, perché à 1200 mètres d’altitude. Le paysage consiste en une alternance de prairies sèches et de forêts mixtes, le tout, parsemé de lacs peu profonds aux eaux turquoise.
Cinquante kilomètres avant le franchissement du fameux col d’Heckman, la route n’est plus asphaltée et se transforme en un véritable champ de boue. L’inquiétude grandit dans l’habitacle. Les rares véhicules arrivant en sens inverse, de gros 4×4, sont complètement crépis de terre.
Un panneau avertit les automobilistes que le franchissement du col requiert des chaines pour les véhicules équipés de deux roues motrices, et ce, quelle que soit la saison. Nous ne ferons pas deux fois la même erreur et préférons renoncer et faire demi-tour. C’est alors qu’on aperçoit une voiture « citadine », conduite par une jeune femme (ne voyez rien de sexiste là-dedans). Elle s’arrête tant bien que mal à notre niveau après une glissade de plusieurs dizaines de mètres. D’un ton rieur, elle nous rassure, il faut conduire prudemment et lentement dans les virages en épingle mais la route s’améliore ensuite.
Nous la regardons repartir en chassant d’un côté et de l’autre… Bon, bah, en avant Guingamp !
Le stress est au maximum dans la voiture, j’observe la carte, trace l’itinéraire et alerte mon pilote de rallye. Après le franchissement du col, 14 kilomètres de route sinueuse nous attendent.
Nous arrivons finalement au col Heckman. L’humidité est au maximum ici, les nuages provenant de l’océan pacifique viennent se heurter de plein fouet sur cette barrière montagneuse, générant des précipitations extrêmes. Nous regardons les virages qui nous attendent… Nous ne sommes pas rassurés. Après plusieurs minutes de réflexion, nous finissons par nous engager. Il n’y a plus un mot dans le van. La route s’améliore légèrement, nous passons de 20 à 10 centimètres de boue. Geo freine sans trop freiner pour éviter que les freins ne surchauffent. Je fixe le GPS, regardant les kilomètres qui ne défilent pas assez vite à mon goût.
Nous voilà finalement arrivés dans la vallée de Bella Coola. La forêt humide primaire fait son retour. Cette vallée est connue pour l’observation des grizzlis. Deux scientifiques sont d’ailleurs installés au premier poste d’observation sur la rivière. Deux ours au comportement agressif étaient là, il y a peu de temps. Nous ne perdons pas espoir et partons en quête du grizzli sur d’autres secteurs propices à l’observation.
Malgré tout, le stress de la route est encore bien présent et ce, d’autant plus qu’un refroidissement accompagné de chutes de neige sont attendus dans la nuit. La décision de repartir dans la journée est prise. La peur de rester coincés du mauvais côté de la montagne nous empêche de profiter pleinement des paysages et de Bella Coola, où nous nous arrêterons que pour se dégourdir les jambes.
La montre sonne 16h00 qu’il faut déjà repartir. Raccoon enchaine les épingles et ne souffle que lors des rares instants photos qui lui permettent de refroidir sa mécanique. Arrivés sans encombre au col, le plus dur est derrière nous, il ne nous reste plus qu’à se laisser glisser dans les ornières de boue.
Un ancien camping en bordure de lac fera bien l’affaire pour ce soir. Exténués mais soulagés que cette route affreuse soit derrière nous, le sommeil ne tardera pas à nous gagner. Nous sommes tout de même déçus de ne pas avoir pu profiter de la vallée de Bella Coola, ses ours, ses champignons, sa forêt pluvieuse.
Le lendemain, suivant les conseils de notre ami photographe Jérémy, nous roulons en direction du lac Chilco, un autre détour de 120 kilomètres. Nous avons eu écho d’un bon plan pour réaliser une excursion en bateau afin d’observer les grizzlis. Malheureusement, à notre arrivée, le gérant du petit business est déjà bien occupé et n’a pas de temps à nous consacrer. Décidément, le sort s’acharne contre nous.
Nous repartons bredouille mais profitons tout de même du paysage et, chose rare depuis quelques jours, le soleil est là.
Geoffrey propose de randonner à Inferno Dantes ! Nous espérions trouver de la chaleur en ce lieu mais non… rien à faire, ça caille ! Même chose quelques kilomètres plus loin, au canyon de la rivière Fraser, un étrange désert où la chaleur estivale semble insoutenable. Pour autant, en ce 11 octobre, il fait froid, très froid et il brume. Cela n’enlève pas moins le charme du canyon.
Les conditions météorologiques, de plus en plus instables, nous interrogent sur la poursuite du voyage en van. Fini les détours, il est temps de filer vers le sud de la province, et fissa !