Bien arrivés à Dawson City
Les 700 kilomètres de routes glacées nous séparant d’Atlin s’achèvent. Nous nous engageons sur « Rock Creek road » à 20 kilomètres au sud de Dawson, nous avons hâte de rencontrer Shawn et Lolita, nos hôtes pour les prochains mois.
A notre arrivée, face à nous, un immense garage/atelier, une vieille caravane, une serre, une cabine en bois, une yourte, une sorte de conteneur sur roues équipé d’une cheminée fumante, un enclos pour chien et enfin, une grande maison brune. Entre toutes ces bâtisses, nous ne savons pas devant laquelle s’arrêter, on mise finalement sur la grande maison brune.
Comme pour toutes les maisons ici, la porte est ouverte. On entre et nous sommes accueillis par Lolita et Lexie.
Lexie est l’heureuse et jeune propriétaire du conteneur à la cheminée, qui est en réalité une « tiny house » (petite maison) sur remorque.
Nous sommes un peu déstabilisés. Nous scrutons du regard les murs, les lumières et l’électroménager. Cela fait des mois que nous n’avons pas vu une maison reliée à l’électricité et, chose peut-être encore plus rare au Yukon, une maison aux finitions parfaites ! Peintures impeccables, plinthes, câbles électriques dissimulés, bref, une belle maison. Incroyable, j’aperçois même de l’eau couler du robinet ahah !
Geo, lui, semble mal à l’aise, choqué par tant de confort et de modernité ! Sa cabine en bois d’Annie Lake et son confort rudimentaire lui paraissent bien loin…
Nous passons la soirée avec Lolita, Shawn, Maya (leur fille) et Lexie. Lolita est « ranger » au parc de Tombstone et Shawn est « officier de la conservation », une sorte de policier de la chasse et de la pêche.
Bon, il est aussi trappeur, ancien guide de pêche et pêcheur à la mouche… Je comprends mieux pourquoi nous avons été sélectionnés, sûrement une solidarité inter-pêcheurs.
Lexie est étudiante, artiste, danseuse, et aussi « ranger » au parc durant l’été. Maya, 12 ans est à la porte de l’adolescence, dévoreuse de livres fantastiques et auteure introvertie.
Le ciel fait également son show ce soir-là. Dawson serait-elle en train de nous montrer ses plus beaux atours ?
Nous parlons de choses et d’autres, découvrons les personnalités et passions de chacun, puis nous en venons au fait : « Quelle est notre mission ici ??? ».
Shawn et Lolita ne semblent pas trop savoir. Nous avons normalement été recrutés pour les aider à construire leur cabine en bois mais les -40°C rendent la tâche compliquée (nous avions presque oublié ce détail). La peur de l’ennui nous saisit !
Face à notre désarroi, ils nous proposent une solution alternative. Ils ont un ami : « Gérard », un french guy installé depuis 40 ans au Yukon. Il serait à court de bois et aurait bien besoin d’aide. Dès le lendemain, nous le rencontrons à Dawson city dans sa maison de ville. Il s’est réfugié ici car les -50°C de la semaine dernière ont eu raison des dernières buches de sa « vraie » maison. En effet, en temps normal, il habite une grande cabine perdue au milieu du bush (bois) sur la « Dempster Highway », la route rejoignant l’Océan Arctique.
Mais comment peut-on ne plus avoir une seule buche dans le bush (répète en boucle ces 4 derniers mots) au beau milieu de l’hiver au Yukon ???
Nous le suivons alors jusqu’à sa propriété. Nous nous engageons sur cette fameuse route dont le panneau indique seulement « Arctic ocean : 886 km ». Après 40 km, nous laissons notre van, Gérard nous prend dans son 4×4 pour franchir les dernières centaines de mètres entre deux murs de neige.
Nous découvrons une grande et magnifique cabine en rondins. Il fait aussi froid dehors que dedans, c’est-à-dire -35°C. Nous lançons les deux poêles du salon à plein régime !
Jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite cette année, Gérard accueillait des touristes assoiffés d’aventures. Il les guidait à pied ou en motoneige à travers la pampa, enfin, la toundra. La journée se terminait par un « happy hour » et un repas bien traditionnel français. Aujourd’hui, il a laissé tomber le tourisme mais a gardé l’happy hour et les repas français.
Notre mission ici : refaire son stock de bois.
Mais, à -40°C, cela demande un peu de logistique. Après avoir réchauffé la cabine, il faut réchauffer le générateur, puis la tronçonneuse, puis le chauffage à propane pour pouvoir enfin réchauffer le moteur du skidoo. Ok, 1h plus tard, tout le monde est chaud (surtout nous !). Gérard nous emmène en motoneige à 100 mètres de sa maison où il a coupé un énorme bouleau. Malheureusement, celui-ci s’est coincé dans un sapin, impossible de le faire tomber. Ouch, la tâche, en plus d’être dangereuse, semble compliquée. Nous surveillons Gérard de très loin (histoire de ne pas se prendre l’arbre sur la tête), pendant qu’il essaye de recouper le bouleau puis de le décoincer à l’aide d’un treuil. Rien n’y fait, retour à la case départ, sans bois.
Pas vaincus pour autant, nous repartons en forêt, la tronçonneuse sur le skidoo. Il a repéré un grand nombre de sapins à couper près du parc de Tombstone. Oui car pour info, on ne coupe pas n’importe quel arbre. Il faut choisir des arbres morts mais encore sur pied. Arrivés sur place, Geoffrey reçoit un cours de sécurité, de maniement de tronçonneuse et de bucheronnage.
Le voilà équipé d’un joli casque orange, d’une paire de lunettes, et d’un surpantalon de protection, un vrai bucheron !
Deux amis de Gérard, Curby et Karine nous ont rejoint pour la journée et ont apporté un gâteau à la banane et de délicieuses saucisses de bison. Une fois par an, en plein hiver, ils vont chasser cet animal avec toute leur famille (ce qui représente une 10aine de personnes). La viande est partagé, ce qui assure assez de saucisses pour une année de barbecue ! On admirera également les talents de conduites de Skidoo de Curby en pleine poudreuse, passant par-dessus les arbres, branches, se penchant de tout son poids d’un côté ou l’autre du skidoo. Nous venons de faire un pas de plus dans le style de vie Yukonnais.
A 17h, les journées s’arrêtent pour l’happy hour ! Gérard est un bon vivant et bon cuisinier. Nous ne pouvons pas cacher que nous sommes trop heureux de boire du vin, de renifler du vrai fromage et de déguster une planche de charcuterie ! Nous sommes dans une petite bulle de gastronomie française au cœur de l’immensité canadienne, l’accord parfait ! Autour d’un verre, il nous raconte son arrivée au Yukon, presque sans un sou et ses débuts à Dawson city où il vivait dans une tente de prospecteur (grande tente rectangulaire beige). On se plonge dans ses histoires rocambolesques et tentons d’imaginer le Yukon, 40 ans plus tôt.
Après quelques jours chez Gérard, le stock de bois semble suffisant pour tenir quelques mois. Nous retournons chez Shawn et Lolita, avec lesquels nous avons finalement à peine échangés.
Nous nous installons dans la yourte. Son isolation, sa construction en dôme et son petit poêle à bois permettent de contrer confortablement les températures extrêmes jusqu’à 6h du matin où un petit rallumage du poêle est nécessaire. Après la cabine de prospecteur, la tente et le van, place à la yourte ! Je dois avouer qu’on s’y sent particulièrement bien !
Entre temps, Shawn et Lolita nous ont préparé une petite liste de tâches à faire. On y jette un œil, tout cela nous semble réalisable en… 1 journée ! La peur de l’ennui nous envahit de nouveau. Heureusement, Shawn, nous confie la mission de décaper les futures fenêtres de la cabine. Ouf ! Cela va nous occuper un petit moment. Nous sommes bien contents, on va enfin pouvoir sortir la caisse à outils, l’huile de coude et commencer les travaux de la cabine !
Construire une cabine en bois au Canada !
Pendant nos deux mois ici, nous avons énormément appris sur les constructions au Canada. Les techniques sont complètement différentes de nos standards français. La raison principale étant que toutes les maisons sont construites en bois, que ce soient des cabines de trappeurs comme des maisons modernes, à l’image de celle de Shawn et Lolita. Les matériaux doivent être capables de supporter des écarts de températures extrêmes. Bref, on oublie le béton, le placo, etc. Alors qu’en France, les maisons en ossatures bois ont mauvaise réputation, soit en raison de leur légèreté et de leur coût, soit en raison de leur originalité, ici, c’est la normalité.
La petite cabine qui nous attend, elle, est construite en rondins taillés en carré (des madriers). Il existe un tas de techniques différentes de construction de maison en rondins dont Geoffrey vous fera un plaisir de vous décrire, il est devenu incollable sur le sujet.
L’été dernier, tous les madriers ont été montés et la toiture posée (pas de tuiles ici, seulement des tôles d’aluminium). Il reste donc encore beaucoup de choses à faire : les fenêtres, la porte, l’isolation du toit, le deuxième étage, les murs de la future salle d’eau, l’électricité, les meubles… Bref, y’a du job !
Notre première tâche consiste à clouer le toit aux murs ^^ ! A -30°C, impossible de tenir un clou entre ses doigts et pas question de retirer ses gants… Finalement, après une centaine de clous perdus dans la neige, on y arrive… et un millier de clous plus tard, le toit est « solidement » attaché au reste de la maison.
Nous fabriquons ensuite les soffites. C’est la partie qui ferme l’accès du toit aux bestioles, tout en laissant passer un courant d’air essentiel le long de la toiture. Nous travaillons principalement avec des scies circulaires et visseuses sur batterie qui, par ce froid, sont mises à rude épreuve. Ayant 6 batteries d’avance, nous les rechargeons au chaud à tour de rôle, celles-ci ne tenant pas plus d’une heure (quand elles ne gèlent tout simplement pas).
L’étape la plus difficile : la pose des fenêtres. Après plusieurs appels aux amis et à l’inspecteur des travaux, on finit par poser les fenêtres de niveau dans des emplacements qui avaient été préalablement tronçonnés de guingois.
Cela a pour conséquence de faire râler Geoffrey et de mettre notre minutie extrême à rude épreuve. En plus de cela, les madriers utilisés sont « verts », ils vont sécher au cours des deux prochaines années, ce qui nous oblige à laisser un espace de 2 pouces (oui, nous ne savons plus mesurer en mètre) au-dessus de chaque fenêtre, en prévision du séchage et du tassement des madriers. Shawn et Lolita devront nous rappeler plusieurs fois que nous construisons une cabine et non une maison et que l’erreur est acceptable (voire encouragée, c’est le « Yukon style »).
Les étapes suivantes ont été beaucoup plus faciles. Après l’isolation du toit, des murs et de la pose du pare-vapeur, nous avons eu le plaisir de fabriquer notre première cloison en bois et même de s’attaquer à la mezzanine.
Pendant nos deux mois de travaux, la maison s’est transformée et nous avons bien progressé, c’était presque frustrant de ne pas continuer plus longtemps.
En parallèle de la construction, je m’occupe également de la petite basse-cour de la maison composée de 8 poules et 2 canards. Et autant vous dire, que ces animaux ne sont pas super adaptés à l’hiver canadien ! Impossible de les sortir dehors par ce froid, ils restent cloitrés dans leur petit poulailler. Un chauffe-plat et une lampe chauffante réchauffent leur abreuvoir et l’intérieur de leur maison. Quand les températures commencent à se réchauffer (-10°C), c’est l’heure du bain dans la luge pour les canards (qui dure en moyenne 10 minutes, le temps que l’eau tiède gèle).
C’est tellement drôle de les regarder. Geo ne comprenait pas pourquoi je passais autant de temps au poulailler jusqu’à ce que lui aussi se lie d’amitié avec les canards. Difficile de ne pas être sensible à cet animal qui te regarde dans les yeux et qui semble vraiment content de te voir. Bref, Geo ne veut désormais plus que des canards dans son futur poulailler.
A l’arrivée du printemps, on aura la chance de conserver quelques œufs au chaud qui 21 jours plus tard donneront ça :
Suite des distractions au prochain épisode !