Ma Cabane au Canada
Mayo Cabin : First round
Tout à commencé ce jour où, pour nous remercier de notre travail, Shawn et Lolita nous ont invité à passer un week-end dans leur cabane à Mayo située le long de leur trapline* (ligne de piégeage).
*Qu’est-ce qu’une trapline ?
Il s’agit d’un territoire octroyé par le gouvernement du Yukon à un trappeur. Elle est appelée ligne (line) car le trappeur dispose généralement ses pièges le long d’un itinéraire bien défini. Les animaux sont exclusivement piégés pour leur fourrure. Après les avoir tannées, Shawn les vend localement au magasin d’antiquités et d’équipement extérieur de Dawson appelé, le Trading Post (poste d’échange).
Sur sa trapline, Shawn possède deux cabines, une première au bord du lac Mayo, et une seconde, située 20 kilomètres plus loin, au bout de sa ligne de trappe.
Départ pour la cabine
La veille de partir, Lolita nous dessine une carte à main levée décrivant les lieux. On pourrait presque croire à une carte au trésor. On y devine vaguement une route, une rivière, un barrage, un lac et la fameuse cabane. Voici notre mission (si on l’accepte) : après avoir parcouru les 230 kilomètres reliant Dawson à Mayo, il nous faudra prendre la direction de Keno puis nous engager sur la piste menant au lac Mayo, qui est habituellement déneigée. Arrivés au barrage, nous découvrirons une motoneige à laquelle il faudra attacher deux traîneaux pour transporter l’ensemble de nos affaires. Il s’agira ensuite de repérer et suivre les traces de motoneige qui rejoignent le lac (en espérant qu’elles n’aient pas été recouvertes par de récentes chutes de neige). Sur le lac, Lolita nous conseille de ne pas quitter la piste pour éviter les possibles overflows* (*phénomène naturel qui se produit lorsque l’eau du lac passe au-dessus de la couche de glace) et de ne pas passer trop près des deltas des rivières où la glace peut être plus fine… OK, nous voilà bien rassurés ! Elle nous indique également le fonctionnement de la barrière électrique qui encercle/protège la cabane des ours, l’emplacement du groupe électrogène, et bien sûr, nous souhaite bonne chance !
Le lendemain, c’est parti ! Nous chargeons rapidement Raccoon sans oublier quelques affaires essentielles, des skis, du matériel de pêche, un jerrican d’essence (pour le groupe électrogène et la tronçonneuse) et des livres. Nos compagnons de l’extrême, Emma et Shadow, embarquent avec nous, dans le van, pour l’aventure. Un mélange d’excitation et d’appréhension nous envahit.
Deux cents kilomètres plus loin, après avoir traversé Mayo, nous nous engageons sur la piste forestière rejoignant le lac. Raccoon, qui n’est toujours pas doté de l’option 4×4, ne semble pas bien à l’aise sur ce chemin. Malgré cela, la neige étant bien tassée et gelée, il vient rapidement à bout des 32 kilomètres de piste. Nous arrivons à notre premier “check-point”, le fameux barrage.
Bien que soulagée d’être arrivés jusque là, je ne cesse de retenir ma joie. C’est désormais l’épreuve de la motoneige qui nous attend. Les indications de Lolita étaient justes. Nous découvrons, sous une bâche enneigée, notre nouveau moyen de transport. Un quart de tour suffit à réveiller l’engin. Le vrombissement de la motoneige vient briser le calme paisible qui règne au bord du lac. Les traineaux chargés de nos affaires et nos vivres, nous nous engageons sur la piste menant au lac.
Le chemin a été emprunté récemment, et aucune chute de neige n’a recouvert les dernières traces ! Le lac est bien plus immense que ce que nous avions imaginé. Suivant de près les anciennes traces de motoneiges, nous évitons un à un les différents pièges qui se tendent devant nous dont les deltas de rivière et les overflows. Une vingtaine de minutes se sont écoulées depuis notre départ. Emma et Shadow nous suivent en courant. Nous finissons par apercevoir le toit de la cabane et la piste y menant.
A notre arrivée, le charme des lieux opère instantanément. Nous pensions découvrir une cabane “rustique”, comme celle dans laquelle nous avions vécu à Annie Lake, mais il n’en est rien !
Nous retirons une à une les planches de bois recouvrant les fenêtres et nous désactivons la barrière électrique de protection. A l’intérieur, la cabane semble immense.
Devant nous, se trouve le salon avec sa table à manger, une cuisine tout équipée, un coin détente avec des canapés, un lit et bien sûr, le poêle à bois au centre de la pièce. L’étage, occupé par des lits, est tout aussi spacieux. Tout est propre et bien rangé, on sent là, la patte de Lolita. Cette cabane ressemble à un petit coin de paradis. Nous ne nous attendions pas à autant de confort, nous sommes agréablement surpris et ravis !
A l’extérieur, Emma et Shadow ont également découvert leur cabane ensevelie sous la neige. Il y a quelques années, Shawn se déplaçait encore en chiens de traineau le long de sa trapline.
Ni une, ni deux, nous déchargeons nos affaires. Le poêle à bois commence à crépiter et à diffuser une chaleur douce dans toute la cabane. Après le feu, l’eau ! Le lac est recouvert d’un mètre de glace, nous le scrutons à la recherche du trou d’eau que Shawn a réalisé plus tôt dans la saison. Malgré la plaque d’isolation placée sur le trou, la glace a fini par reprendre le dessus. Quelques coups de hache sont nécessaires pour que nous puissions y glisser nos jerrican.
En apparence de bonne qualité, l’eau du lac ne peut pas être consommée directement, en cause, la présence potentielle de la fièvre du Castor (et non pas la fièvre du samedi soir héhé). L’eau est donc filtrée à la cabane à l’aide d’une poche équipée d’un filtre antimicrobien, procédé identique à celui utilisé dans nos gourdes de randonnée
Notre première soirée se passe dehors, autour d’un feu de camp, à griller des saucisses. Les chiens se blottissent contre nous et profitent de la chaleur du feu.
L’énorme poêle à bois a bien réchauffé la cabane, au grand plaisir de Shadow, habituée à dormir le long d’un radiateur.
Avec des températures avoisinant les -40°C, Emma ne se fait pas non plus attendre lorsque nous lui ouvrons la porte de la cabane. Pour éviter la propagation de poils dans tout le salon, nos deux compagnons passeront la nuit dans… un parc pour enfant.
Le lendemain, munis chacun d’un talkie-walkie (oui car il n’y a pas de réseau ici), nous vaquons à nos activités favorites : ski de fond pour moi et pêche sur glace pour Geo.
Cela maintenant fait plusieurs kilomètres que je longe le lac lorsque j’aperçois Geoffrey foncer sur moi à pleine vitesse au commande de sa motoneige. Il ne semble pas vraiment content, pour ne pas dire autre chose. Mais alors pas content du tout… Et pour cause, j’ai eu le malheur de couper le son de mon talkie-walkie par inadvertance (ou peut-être pas :D). Après plusieurs tentatives de communication infructueuses, il a fini par s’inquiéter, a lâché sa canne à pêche et est parti à ma recherche en motoneige… Ah! La joie des moyens de communication ! Rassuré et après une dernière remontrance, il finit par repartir aussi vite qu’il est venu.
Après cette promenade, je rejoins Geo, à la pêche sur le lac, qu’il a d’ailleurs transformé en véritable gruyère en multipliant le nombre de trous pour y pêcher. Malheureusement, aucun poisson n’a dédaigné faire surface.
L’après-midi est réservé à quelques tâches essentielles. Geo se charge de la vidange du groupe électrogène puis on part refaire le stock de bois. Shawn nous avait indiqué un endroit où l’on pourrait trouver quelques arbres morts sur pieds. Armé d’une tronçonneuse, Geo s’attelle à l’abattage et au tronçonnage du bois, quant à moi, je charge les bûches dans le traineau. Les chiens nous observent patiemment, enfin… Shadow passe en réalité son temps à mâchouiller et à détruire chaque branche qu’il trouve.
Après cette journée riche en activités, on prépare de nouveau notre traditionnel feu de camp. Les chiens en profitent pour récupérer et s’endorment en boule à nos côtés.
Le lendemain est notre troisième et dernier jour sur place. Après avoir cuisiné quelques pancakes et profité de l’ambiance chaleureuse d’un lever de soleil dans la cabane, chacun se lance dans ses activités favorites, Geo part pêcher avec Emma et je pars skier avec Shadow sur une piste forestière derrière la cabane.
Plusieurs pièges, appartenant à Shawn, sont disposés le long du chemin. Je piste de près des traces de lynx qui a, semble-t-il, fini par attaquer une proie :
Il est déjà temps de replier bagages, on charge la motoneige et nous voilà repartis dans l’autre sens. Les températures sont remontées ces deux derniers jours, la rivière s’est ouverte en amont du barrage mais notre chemin de motoneige semble encore solide (on sert les fesses).
En route pour Mayo, on profitera d’un petit terrain de hockey aménagé sur un lac pour faire quelques échanges de palets.
Trois jours seulement se sont écoulés depuis notre départ, pour autant, avec l’élévation soudaine de températures, nous avons le sentiment de passer de l’hiver au printemps en un claquement de doigt.
Notre première expérience dans cette cabane isolée a été incroyable, à tel point, que nous avons sauté sur l’occasion lorsque Shawn et Lolita nous ont proposé d’y retourner un mois plus tard.
Mayo cabin : Second round !
Cette fois, c’est parti pour un peu plus de 15 jours ! En un mois, le temps comme les paysages ont bien changé. Les températures ont continué de grimper et la neige a commencé à fondre, laissant apparaitre les premiers brins d’herbe au pieds des épicéas. Aucun doute, le printemps est bien là. Après la neige donc, place à la glace et à la boue ! Les souvenirs de notre Raccoon embourbé jusqu’au cou (ou presque) à Hazelton ressurgissent.
La rivière Mayo est désormais ouverte sur plusieurs kilomètres, ce qui fait le bonheur de Geoffrey qui est, plus que jamais, heureux de retrouver l’eau sous son état liquide.
Cette fois, nous ne pouvons plus compter sur la motoneige pour acheminer notre matériel jusqu’à la cabane. Il faut désormais s’engager sur une nouvelle piste forestière, chemin sur lequel j’avais fait du ski lors de notre précédent séjour. Heureusement pour nous, la neige a été récemment grattée par les employés de la mine, rendant la piste plus ou moins praticable.
Les yeux rivés sur la carte satellite, on tente de se rapprocher au plus près de la cabane à la recherche de l’indice (un morceau de ruban accroché à un arbre) laissé par Shawn. Les 400 mètres qu’ils nous restent à parcourir à pieds jusqu’à la cabane nous semblent interminables (surtout lorsqu’il s’agit de porter le sac de livres que Geo a emporté par peur de s’ennuyer).
Le maitre mot étant anticipation (petit clin d’œil à qui se reconnaitra), nous retournons garer notre camion au début de la piste afin d’éviter de se retrouver embourber dans 15 jours, lorsque toute la neige aura fondu. Emma nous suit dans tous nos va-et-vient, qui prendront tout de même quelques heures.
Nous y sommes, de retour dans notre petite bulle, complètement coupés du temps et des interactions extérieures. Adieu Facebook, WhatsApp, Messenger et compagnie ! Nos journées sont dorénavant rythmées simplement par nos envies (et le lever/coucher de soleil tout de même).
Le soleil est désormais assez haut dans le ciel pour que l’on ressente les effets de ses rayons. Si bien, qu’à défaut de pêche miraculeuse, Geo attrapera de jolis coups de soleil sur le lac.
En véritable explorateurs, nous partons à la découverte des sentiers aux alentours de la cabane, ceux menant à la mine ou encore celui longeant la rivière Mayo où j’apercevrai d’ailleurs des ombres (que Geo s’empressera de pêcher). Nous assisterons aussi au retour des premiers oiseaux migrateurs, les cygnes trompette, marquant officiellement le début du printemps.
Emma nous suit dans chacune de nos micro-aventures. De retour à la cabine, elle part se reposer dans ses coins privilégiés, le cercle de notre feu de camp, lorsqu’il est sous les rayons du soleil où bien, au frais, sous le plancher de la cabane (il ne faut pas oublier que c’est un husky d’Alaska).
Nous nous étions fixés un seul objectif pendant ce séjour, se rendre à la seconde cabane, située à l’extrémité de la ligne de trappe. Shawn nous avait indiqué son emplacement approximatif sur une carte avant de partir.
Plus de vingt kilomètres nous attendent. Prévoyants, nous partons au lever du jour, nos sacs sur le dos, parés à passer une nuit sur place. Nous rejoignons la piste forestière avant de retrouver Raccoon (toujours sur roues). Il est mis à contribution pour nous permettre de gagner de précieux kilomètres sur cette randonnée longue et incertaine.
Le chemin longe ensuite le creek Davidson, un joli petit torrent. Un camion aux roues gigantesques (comme un prélude de ce qui nous attend), semble avoir été abandonné sur le bas côté.
Le chemin se poursuit avant de déboucher sur la fameuse “mine”. Triste scène qui s’offre à nous. Le lit de la rivière a été pelleté, gratté et retourné dans tous les sens, et ce, pour quelques bagues en or… L’impact écologique est certain. Nous continuons rapidement notre chemin, essayant tant bien que mal d’oublier cette triste réalité.
Au détour d’un virage, nous distinguons une ancienne trace de motoneige, celle de Shawn, venu quelques semaines auparavant relever ses pièges. Ni une, ni deux, nous bifurquons et décidons de suivre cette nouvelle trace. Cela fait maintenant plus d’une dizaine de kilomètres que nous zigzaguons dans la forêt sous un soleil radieux.
Au compteur, le GPS indique 19 kilomètres depuis le bord de route où nous avons laissé Raccoon. Emma, quant à elle, ne semble pas ressentir la fatigue et accélère même le pas jusqu’à ce qu’on la perde de vue. Le doute commence à s’installer et l’idée de devoir rebrousser chemin ne nous enchante guère.
Finalement, le toit d’une petite cabane se dessine devant nous. Emma (ancien chien de tête de Shawn lorsqu’il se déplaçait encore en traineau) ne s’était pas lancée dans une partie de chasse à l’écureuil, au contraire, elle avait décidé de prendre de l’avance pour faire une inspection des lieux avant notre arrivée.
La cabine, bien que cosy en apparence, montre un confort bien plus sommaire que la première. L’hiver dernier, un couple de volontaires est resté plusieurs mois sur place avec un attelage de chiens de traineaux et en a profité pour réaliser quelques travaux. Il est difficile de s’imaginer leur vie ici, en plein hiver, à 20 kilomètres en chiens de traineaux de leur voiture, elle-même située à plus de 30 kilomètres de l’épicerie la plus proche, Mayo. Sans eau et sans électricité, la préparation de la soupe pour les chiens devait prendre un certain temps… En comparaison, notre voyage passerait presque pour une promenade de santé.
La bouteille de gaz étant vide, nous optons pour la solution Bis pour faire cuire nos pâtes.
Nous y passerons une nuit, pas deux. Le lendemain, après avoir pris soin de mettre la planche anti-ours (pour protéger la cabane des intrusions de plantigrade), nous repartons sur nos pas de la veille.
La chaleur de ces derniers jours a accéléré la fonte, le chemin est devenu boueux et les quelques kilomètres que nous devons effectuer avec Raccoon sur la piste forestière ressemblent à s’y méprendre, au rallye du trophée Andros.
Il ne nous reste que quelques jours avant notre départ. Nous en profitons pour refaire le stock de bois (plus difficile sans motoneige) et réparer la cheminée de l’atelier qui s’est fait arracher par le glissement de la neige du toit. Nous re-tentons une énième fois notre chance à la pêche, qui, à défaut de nous ramener du poisson, nous apporte un super bronzage de vacancier.
Le jour du départ arrive. Nous nous sommes levées tôt afin de profiter du gel de la nuit pour rapprocher notre véhicule de la cabane et charger toutes nos affaires.
Nous sommes arrivés avec la crainte de nous ennuyer et nous n’avons finalement pas vu défiler ces quinze jours. C’est avec un énorme pincement au cœur que nous quittons la quiétude de cette cabane, sa vue imprenable sur le lac Mayo au lever du soleil, ses soirées au bord du feu accompagnées des aurores boréales… Cette expérience restera certainement l’un de nos plus beau souvenirs du Yukon.
Un retour en ville pour le moins compliqué
De retour sur Mayo, nous nous arrêtons pour faire un rapide coucou à Gab et Roman avant de continuer notre chemin.
Après avoir passé Mayo, le voyant moteur de Raccoon se met à clignoter rouge, et là, c’est le drame ! Geoffrey se gare, scrute le dessous du véhicule, les organes sous le capot, l’odeur des gaz d’échappement… et finit par sortir le manuel conducteur. Voyant moteur allumé et clignotant = danger imminent ! Que faire ? Le garage le plus proche est à Dawson, soit à plus de 250 kilomètres… On décide finalement de rentrer à Mayo, demander de l’aide à Gab et Roman.
Il n’y a aucun point de service sur Mayo. Geo passe plusieurs heures à déchiffrer le code erreur du véhicule jusqu’à comprendre qu’il y a des ratés au niveau de l’un des pistons du moteur. Ça sent le roussi !
On prévient Shawn par téléphone qui se démène pour nous trouver un camion équipé d’un plateau. Le coût d’un remorquage sur plus de 250 kilomètres en plein Yukon s’élève à plusieurs billets de 100$ (15 pour être vraiment précis). Shawn nous rassure, il pourra faire intervenir son assurance ! Gab et Roman, sont également là pour nous remonter le moral. On passe la soirée avec eux en essayant de ne pas penser au pire, avant de rejoindre Raccoon pour y passer la nuit. Emma ne comprend pas vraiment ce qu’il se passe. Elle dormira sur le siège passager ce soir.
A 7h00 pétante, sans avoir pu fermer un œil de la nuit, Doug le remorqueur du jour, arrive avec son camion des années 80. Raccoon tient à peine sur son plateau. On se serre tant bien que mal à l’avant de son camion. Emma, quant à elle, reste assise sur le siège conducteur de Raccoon.
Commence alors un long voyage de plusieurs heures au cours duquel on apprend que Doug est notre voisin et qu’il habite à 50 mètres de chez Shawn et Lolita. Le feeling passe bien à tel point qu’il nous propose même du travail pour amortir les éventuelles réparations du van.
Le stress, la fatigue et l’odeur des cigarettes que Doug fume les unes après les autres finissent par me déclencher des migraines. J’arrive dans un état second à Dawson, incapable de réfléchir à quoi que ce soit, tellement mon inquiétude est grande…
Suite au prochain épisode,