Direction Yukon !
Jour 1, km – 3 200, Un départ de nuit
Il est 19h00 lorsque la porte du ferry s’abaisse sur les quais du port de Vancouver. On tourne la clé de Raccoon et on se lance à l’assaut des 3 200 kilomètres.
Les prévisions météorologiques pour les prochains jours sont défavorables, une tempête de neige est attendue dans la nuit. Cet évènement météorologique se produisant tous les 3 jours, il n’existe pas vraiment de créneau favorable. Nous choisissons donc de conduire le plus longtemps possible, jusqu’à atteindre l’entrée de la Coquihalla Highway.
Cette route, longue d’un peu plus de 200 kilomètres, permet de rejoindre Kamloops depuis Hope. Elle détient les records de la route la plus accidentogène et celle de la plus mortelle du Canada. En hiver, les cols sont régulièrement fermés en raison des chutes de neige. De quoi bien nous rassurer pour la suite…
Pour le moment, nous restons focalisés sur l’étape de ce soir, rejoindre la ville de Hope.
Nous sommes en novembre, la nuit est déjà tombée depuis plusieurs heures, il pleut des cordes, rendant les conditions de conduite difficiles. Pour ne rien arranger, les phares de notre bolide éclairent aussi bien qu’une Renault 15 de l’époque, la couleur jaune en moins.
Nous arrivons à Hope à 21h00, bien fatigués des premiers 170 kilomètres parcourus. Une micro-douche extérieure (seulement pour Geo), un plat de pâtes, une bière et nous voilà déjà sous la couette à rêver du grand Nord Canadien. Enfin, plutôt à angoisser sur la route à venir.
Jour 2 / km – 3 030 / Une tortue sur la Coquihalla
Le réveil sonne à 6h30. Avec moins de 7 heures d’ensoleillement (8h – 16h), chaque minute de conduite en journée est bonne à prendre. Le jour se lève, le ciel est blanc opaque et il pleut de grosses gouttes. Grâce au réseau de Webcams disposées le long de la Coquihalla, je regarde les conditions de circulation aux différents cols…c’est moche, très moche. Je rassure mon pilote comme je peux et me remémore les étapes de montage des chaines à neige.
Nous nous engageons sur cette fameuse route. A peine 10 kilomètres plus loin et nous voilà déjà dans la neige. Autour de nous, tout est blanc. Les déneigeuses n’ont pas eu le temps de dégager la route, une seule voie a été empruntée. Les véhicules sont en file indienne, Geoffrey reste sagement dans les traces. La journée s’annonce longue. Seuls les camions ont obligation de chainer, on repousse cette étape à la prochaine aire de chainage.
Finalement, nous arrivons au col sans trop d’embûches. Le ciel a d’ailleurs fini par se dégager, laissant place à un beau ciel bleu. La montagne est magnifique.
Dans la descente, c’est une tout autre histoire, le comportement des conducteurs change du tout au tout, à croire qu’il y a eu un changement de pilote au col. Alors qu’un mélange de neige, de glace et de « bouillasse » (plus communément appelé de la slush ici) recouvre la route, Geoffrey se fait dépasser par des voitures et des camions lancés à plus de 100 km/h. Il serre les fesses, se cramponne au volant et reste collé à la voie de droite.
Intérieurement, je calcule les estimations du voyage, 3 030 kilomètres à parcourir à une vitesse moyenne de 40e km/h, ce qui nous fait… 75 heures de conduite soit, à raison de 7 heures par jour… 1.5 semaines. Parfait, on a prévu 14 jours de réserve de nourriture !
Les kilomètres défilent, il finit par adopter la conduite des Canadiens, ou presque. Raccoon le rappelle à l’ordre. En pleine descente, l’arrière du véhicule se met à chasser, l’avant du véhicule part à droite, puis à gauche, Geoffrey perd le contrôle au milieu d’une trois voies. Grâce à ses talents de pilote (je devrais plutôt dire, par chance, vous l’aurez compris), il reprend le dessus sur Raccoon qui finit par rentrer dans le droit chemin. Une grosse frayeur qui nous incite à prendre notre temps sur la route pour le reste du voyage.
Enfin, ça, c’était sans compter le Covid. Face à une multiplication du nombre de cas dans le Yukon (38 depuis le début de l’épidémie) et l’apparition du premier décès, de nouvelles restrictions aux frontières du Yukon doivent entrer en vigueur le 24 novembre 2020, soit dans 3 jours. Nous avions initialement prévu d’arriver le 25. Actuellement, seul un plan de quatorzaine stricte permet d’accéder à ce territoire. Face au risque de se voir interdire l’entrée au Yukon, on décide de revoir notre itinéraire pour faire au plus vite, quitte à allonger nos temps de conduite.
Les conditions de route s’améliorent, nous traversons successivement Clearwater puis Blue River, avant de bifurquer sur la highway 16, en direction de Jasper, une route que nous avions empruntée cet été, il y a désormais 3 mois.
Les derniers kilomètres s’avèrent difficiles d’autant que les conditions de visibilité se détériorent. Nous sortons régulièrement nettoyer les phares de Raccoon, recouverts d’un mélange de sable et de neige.
Après 730 kilomètres parcourus, nous arrivons à Hinton à 20h00. Pour la première fois depuis le début de notre voyage, nous dormons sur le parking d’un grand supermarché, solution de facilité après une journée épuisante.
Jour 3 / km – 2 300 / Une journée en Alberta
La nuit n’a pas vraiment été reposante, le froid et surtout, le lampadaire du parking au-dessus du hublot de Raccoon y sont très certainement pour quelque chose. Ce matin, je prends le volant, cela fait plus de trois mois que je n’ai pas conduit.
Nous sommes en Alberta, la route est monotone, ennuyante et balayée par des vents froids et des bourrasques de neige.
Nous arrivons à Grande Prairie en milieu de journée. Un déjeuner rapide dans Raccoon, un changement de pilote et nous voilà de retour en Colombie-Britannique, à hauteur de Dawson Creek.
Ici, débute l’Alaska Highway, la fameuse. Quand je repense à ce que nous disions cet été, « Quelle idée de prendre cette route en plein hiver, c’est bien trop dangereux… »
Eh bien, nous y voilà, nous sommes au kilomètre 0 en direction de Fort Nelson. Je regarde une dernière fois les conseils et avertissements aux voyageurs : toujours conduire en chaussures d’hiver, avoir des gants et des affaires chaudes à porter de main, ne jamais quitter son véhicule en cas de panne, avoir un duvet, des réserves de nourriture et d’eau pour plusieurs jours…
Plusieurs portions (longues de 300 kilomètres) ne disposent d’aucune couverture cellulaire et d’aucun service. En hiver, la fréquentation est très limitée.
Il est 18h30, il neige, la route est glacée, on ne voit plus rien. Fréquentation limitée ??? Des camions lancés à folle allure nous éblouissent et nous doublent sans arrêt. Ils disparaissent derrière un nuage de neige, nous rendant aveugles sur plusieurs centaines de mètres.
Épuisés, on est forcés de s’arrêter, on s’écarte de la highway pour passer la nuit. A l’extérieur, il fait -13°C. On se calfeutre, on installe le rideau isolant aux fenêtres et on s’emmitoufle dans nos duvets. Le véhicule a chauffé toute la journée, il fait 25 degrés. Dans quelques heures, le bidon d’eau du véhicule gèlera.
Jour 4 / km – 1 690 / L’Alaska Highway dans toute sa splendeur
On se réveille sous 30 centimètres de neige fraiche. Étrangement, Raccoon se comporte super bien sur cette neige et rejoint la Highway sans difficulté.
On roule les 50 premiers kilomètres derrière une déneigeuse, qui, en réalité, balaie la neige et gratte la glace. Contrairement à notre impression de cet été (un tronçon « plat et plate »), les paysages sont aujourd’hui grandioses. Il n’y a personne sur la route, nous sommes seuls ou presque. De temps en temps, un camion en chemin pour l’Alaska nous rappelle de ne pas monopoliser la voie centrale de l’autoroute.
La route est désormais recouverte de plusieurs centimètres de neige et de glace. Sans le savoir encore, nous ne reverrons plus l’asphalte de sitôt… Un sentiment de joie mélangé à de l’excitation nous envahi. Nous faisons réellement cap vers le Grand Nord ! On a totalement oublié le Costa Rica, ses 35°C et ses plages de sable fin.
On arrive à Fort Nelson sous les coups de midi. Il s’agit de la dernière ville avant Watson Lake, au Yukon. Nous connaissons la route, entre les deux, le nord des Rocheuses, 510 kilomètres de montagnes, de cols, de routes sinueuses, de neige et aucun service en cas de problème. On part se renseigner sur les conditions de circulation. Les cols sont dégagés mais plus pour longtemps, 40 centimètres de neige sont attendus dans la nuit, de quoi rester bloqués plusieurs jours sur place… Après quelques secondes d’hésitation, nous prenons la route pour franchir les cols les plus compliqués avant la tombée de la nuit. Il est impossible de rejoindre Watson Lake ce soir, nous serons obligés de passer la nuit sur le bord de la route.
Les nouvelles mesures aux frontières du Yukon doivent entrer en vigueur demain midi. Le temps presse.
Nous voilà donc partis pour Stone Mountain, Summit Pass et Muncho Lake. En été, c’était incroyable, en hiver, c’est spectaculaire, digne d’un reportage d’Échappée Belle ou d’un documentaire d’Arte. On franchit les deux premiers cols sans accros. Nous nous habituons à cette route blanche et admirons pleinement ce paysage blanc.
Il est 16h30, la nuit est tombée. Nous distinguons une immense silhouette. Eclairé par nos phares, un orignal vient de traverser. Nous roulerons deux heures de plus avant de s’arrêter afin d’éviter une collision avec la faune. Nous avons franchi les Rocheuses.
On se gare le long de Muncho Lake, à côté d’un camion Américain en route pour l’Alaska. Il est stationné là pour la nuit, moteur allumé pour être sûr de pouvoir repartir au petit matin. Dehors, il fait -22°C, je croise les doigts pour que Raccoon ne nous lâche pas dans la nuit.
Ce soir, technique de grand froid, crêpes à la poêle pour réchauffer l’air ambiant. Deux heures plus tard, le givre fait déjà son apparition à l’intérieur du véhicule, l’huile a gelé et le thermomètre affiche désormais -5°C…
Jour 5 / km – 730/ Le Yukon, plus grand que nature
Le bout du nez gelé, on peine à sortir du duvet, il fait -24°C. Geoffrey se précipite pour démarrer Raccoon… Petit moment de stress, il tourne la clé, un bruit inhabituel, tels des glaçons dans un tuyau, émane du moteur. Un instant de doute puis une grosse fumée blanche. Raccoon est parti !
On repousse le petit déjeuner à plus tard (on n’a pas vraiment le choix, notre bidon d’eau a gelé).
Il ne fait pas encore jour quand on distingue plusieurs masses noires au milieu de la route, un troupeau de bisons. Je les attendais avec impatience.
La scène est magnifique. Ils paraissent encore plus impressionnants à ce moment de l’année. On ne forcera pas le passage.
Nous sommes désormais à cinq kilomètres de la frontière avec le Yukon, il est 11h30. Nous n’avons pas eu de nouvelles de la musheuse chez qui nous sommes censés aller depuis… Vancouver. Le stress monte. Nous n’avons même pas l’adresse… Difficile d’expliquer avec précision notre plan de quatorzaine obligatoire à l’agent du poste de contrôle.
Geoffrey se contente simplement de préciser que nous avons des provisions pour les 14 jours à venir et que nous allons être isolés dans une cabane en forêt. En guise d’adresse, un « Annie Lake Kennel » (c’est-à-dire le chenil du Lac d’Annie) sera bien suffisant. L’agent relève nos visas, passeports, plaque d’immatriculation et nous souhaite la bienvenue et un bon séjour au Yukon avec un sourire amical. Elle nous suggère également de postuler à l’Institut Francophone du Yukon.
Dans 15 jours, nous pourrons obtenir une vignette pour circuler librement, d’ici là, nous resterons dans la cabane. Enfin, si seulement la musheuse nous attend toujours et que nous trouvons la cabane…
On s’arrête à Watson Lake pour trouver du Wifi et vérifier nos messages. Ouf, la musheuse a fini par nous communiquer son adresse, nous reprenons la route rassurés…
Sur cette portion, nous croisons bien plus d’animaux que de véhicules. Wapitis, orignaux, caribous, ils sont tous sortis pour nous souhaiter la bienvenue !
Il nous reste 360 kilomètres à parcourir quand le voyant de pression des pneus s’allume. Le prochain village est à 1 heure de route. On croise les doigts pour que Raccoon tienne le coup. Arrivés à la station-essence, le compresseur n’est plus fonctionnel, il a gelé… Il faut atteindre la prochaine station… dans 110 kilomètres. On est loin des autoroutes françaises et de leurs stations-services tous les 15 kilomètres.
Il est 19h00, nous arrivons tant bien que mal à cette station essence qui… n’a pas de compresseur. Il faut rejoindre la capitale du Yukon, Whitehorse, pour pouvoir regonfler notre pneu.
On est épuisés, la pression semble stable (du moins c’est ce que l’on croyait, le pneu sera finalement à plat dans quelques heures), on décide de filer directement à Annie Lake, à 45 minutes au Sud-Ouest de Whitehorse.
Entre la neige, la nuit, les animaux, la fatigue accumulée des 5 derniers jours et le pneu crevé, les derniers 20 kilomètres sur une piste de glace semblent interminables. Il fait nuit noire lorsque nous arrivons à l’adresse indiquée. Une petite lumière s’agite et vient dans notre direction, la délivrance.
Nous l’avons fait ! 3 200 kilomètres en 5 jours dans des conditions de circulations hivernales ! A nous le grand nord et l’hiver Canadien !
Il est 21h00, nous tournons la clé de Raccoon et sortons du véhicule… une meute de 55 chiens se met à hurler.
2 réflexions sur « Direction Yukon ! »
Salut vous deux,
Ben cette fois vous rattrapez votre retard!!! Plus de temps libre, les nuits (l’obscurité) plus longues, le froid extérieur un peu trop vif???
Merci Laure parce que je doute que Geoffrey rédige.
PS: Victoria est la “capitale” de la province et pas que de l’ile de Vancouver 🙂 🙂
Bonsoir à vous deux.
Le temps s’accélère. J’avais pris moi aussi du retard dans mes lectures. Que d’aventure mais quels souvenirs pour vous. C’est toujours avec autant de plaisir que je vous retrouve. Gros bisous.